Je suis né à Paris, juste après la guerre. Dans ma tendre enfance, j’allais en cachette fouiner dans la pièce voisine du bureau de mon père, qui était remplie de trésors : vieux skis en bois avec leur peau de phoque, cannes à pêche en bambou, dont un frêle lancer, un seau à vifs qui gardait un léger parfum de menu fretin, guêtres en toile, grandes bottes et surtout, à côté des grosses malles et vieux tableaux d’ancêtres, dans un jambon fatigué, un Robust seize, Manufrance à la bascule jaspée. Je garde encore aujourd’hui le son de l’écouvillon passant dans les canons.
Une canne siège dépassait d’une grosse gibecière remplie de boîtes de cartouches numéro six écrit en lettres rondes et que je n’osais explorer. Il y flottait des réminiscences de forêt, de poudre mêlée à l’huile de fusil, de cuir, d’écorce mouillée, de brouillard d’octobre.
Les lundis matin d’automne, avant de partir à l’école, je me précipitais à la cuisine, voir ce que mon père, la veille, avait rapporté de la chasse. Je n’y étais jamais allé et n’en découvrais que le fruit : ces perdreaux un peu chiffonnés, une goutte de sang séché sur le bec, ces lièvres aux yeux vitreux, ces lapins aux pattes raides, tous, couleur de chaumes, de labours, de friches et qui exhalaient des parfums sauvages. De temps en temps, un gros ramier, une tia tia, oiseaux lointains. Exceptionnellement, une bécasse qui m’émerveillait. Une fois, la hure et le cuissot d’un sanglier, bardés de poils impressionnants et odorants, tachés de rouge vif.
J’imaginais la complexité de la nature, sa sauvagerie, sa beauté, son exception, toutes ces scènes qu’un citadin ne pouvait soupçonner. Je pensais qu’il m’était donné un étrange avantage sur mes camarades de classe qui ouvraient de grands yeux étonnés, lorsque je leur parlais de perdrix rouge ou de poule faisane, et encore plus de brocard ou de ragot.
Plus tard, mon père me révéla les coureurs de plaine, les premiers rendez-vous de chasse au petit matin, les déjeuners joyeux, la communion du tableau de chasse, les poignées de main…
Avec mon frère aîné, je découvris la passion des marais, des vasières parsemées de joncs, et des volées du soir dans de grands ciels tourmentés. Les passées du matin quand bruisse une volée de pilets, souffle soyeux, becs flûtés. J’ai vécu à ses côtés des années de complicité à lorgner fiévreusement le sens du vent, à avaler des kilomètres par tous les temps, à atteler nos sémillantes canes appelant, à épier dans la nuit, des heures durant.
Nous espérions d’éventuelles poses, calfeutrés dans nos couchettes, devant un maigre feu qui réchauffait timidement notre hutte flottante dans la baie endormie. Le froid, les tempêtes, l’humidité, les bredouilles, rien ne nous arrêtait, et quand nous rapportions deux siffleurs, c’était le paradis. Nous avions vécu plein d’espoir, humé toute la nuit les douces fragrances de l’estran, et entendu des oies dans les goudrons de la brume.
Depuis quelques années, entouré de passionnés avec lesquels je partage la quête d’animaux divers, je me consacre à retranscrire cette passion au travers de la peinture.
Que ce soit à l’huile, à l’aquarelle, au pastel ou à l’acrylique, j’essaie de dégager et transmettre une émotion : un brocard inquiet, la surprise de perdreaux giclant des betteraves humides devant le chien pétrifié, cette bécasse diabolique coursée des heures et s’envolant tout à coup dans les bottes, quand le fusil est cassé, ce craquement de quelque bois mort dans le brouillard, après une longue attente et qui fait battre le coeur, ce chuintement dans le bleu marine d’une volée de sarcelles qui s’effacent dans le rose du couchant, ce raire dans la douceur de septembre…